vendredi, mai 08, 2009

« Ils allaient si mal avec cette beauté lumineuse et fragile de Paris »

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Lundi 8 juin 1942

. « Il fait un temps radieux, très frais – un matin comme celui de Paul Valéry. Le premier jour aussi où je vais porter l’étoile jaune. Ce sont les deux aspects de la vie actuelle: la fraîcheur, la beauté, la jeunesse de la vie, incarnée par cette matinée limpide – la barbarie et le mal représentés par cette étoile jaune. » .


. Samedi 30 octobre 1943

« Je voulais encore marcher ; et à nouveau la Seine m'a attirée. Je ne suis pas descendue sur la berge, mais j'ai suivi le cours la Reine, en longeant le parapet, et en marchant dans les feuilles mortes odorantes. Le soleil avait percé et le ciel était bleu. Il y avait une débauche d'ors, les dernières feuilles de marronniers étaient de cuivre, l'herbe des pelouses d'un vert d'émeraude, le ciel pur, lumineux, léger, le parfum tenace des feuilles froissées, et partout dans l'air la saveur un peu âcre et si automnale des feux de feuilles mortes. La Seine pailletée de lumière, c'était d'une beauté irréelle, fragile, splendide. Place de la Concorde j'ai croisé tant d'Allemands ! avec des femmes, et malgré toute ma volonté d'impartialité, malgré mon idéal (qui est réel et profond), j'ai été soulevée par une vague non pas de haine, car j'ignore la haine, mais de révolte, d'écœurement, de mépris. Ces hommes-là, sans le comprendre même, ont oté la joie de vivre à l'Europe entière. »


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« J’ai voulu, un après-midi, suivre ces mêmes rues pour mieux me rendre compte de ce qu’avait pu être la solitude d’Hélène Berr. La rue Claude-Bernard et la rue Vauquelin ne sont pas loin du Luxembourg et à la lisière de ce qu’un poète appelait «le continent Contrescarpe», une sorte d’oasis dans Paris, et l’on a de la peine à imaginer que le mal s’infiltrait jusque-là. La rue Edouard-Nortier est proche du bois de Boulogne. Il y avait sûrement en 1942 des après-midi où la guerre et l’Occupation semblaient lointaines et irréelles dans ces rues. Sauf pour une jeune fille du nom d'Hélène Berr, qui savait qu'elle était au plus profond du malheur et de la barbarie: mais impossible de le dire aux passants aimables et indifférents. Alors, elle écrivait un Journal. Avait-elle le pressentiment que très loin dans l'avenir, on le lirait ? Ou craignait-elle que sa voix soit étouffée comme celle des millions de personnes massacrées sans laisser de traces ? Au seuil de ce livre, il faut se taire maintenant, écouter la voix d’Hélène et marcher à ses côtés. Une voix et une présence qui nous accompagneront toute notre vie. »

Patrick Modiano
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Le Journal d'Hélène Berr a été édité aux Éditions Tallandier.
Préface de Patrick Modiano.
Texte suivi de Hélène Berr, une vie confisquée, par Mariette Job

4 commentaires:

JEA a dit…

Hélène Berr, 15 février 1944, dernière ligne de son Journal :

- "Horror ! Horror ! Horror !"

Jean Pierre J. a dit…

Et une pensée pour la soeur disparue de ce petit copain avec qui je jouais en 1948-1949. Seuls lui-même et sa grand mère, séjournant à la campagne avaient échappés à l'arrestation de toute la famille. C'est donc à travers nos conversations d'enfants entrecoupées de jeux que j'ai eu la premiére révélation des horreurs de la période que je venais de vivre dans une certaine insouciance, hormis les frayeurs des bombardements.

Elisabeth.b a dit…

Vous souvenez-vous de son prénom ? Hélène Berr, elle, a été déportée en mars 1944. Elle est morte d'épuisement au camp de Bergen-Belsen. C'était quelques semaines avant la libération des camps.
Le 8 mai est une date terrible : la joie et la douleur.

Elisabeth.b a dit…

8 mai... à peine le temps de l'écrire et j'apprends que la synagogue de Garges les Gonesses a été attaquée dans la nuit du 8 au 9 mai :

« des individus [ont] lancé des pierres dans cour arrière de la synagogue, sur des bâtiments servant de lieux d'études ,contraignant les jeunes étudiants qui s'y trouvaient à abandonner leur activité pour plus de sécurité. »Source : BNVCA