jeudi, juin 17, 2010

Les « plantes des femmes » : une alliance salvatrice et redoutable


Reine des prés, début  juin


Publication des actes du colloque de Salagon (2006)
Extrait de la préface de Pierre Lieutaghi :


« Dans nos sociétés, les grands et dignes travaux de la terre, céréaliculture, viticulture, élevage des grands animaux, conduite des bêtes de trait, sont regardées comme des attributions masculines aussi exclusives que la chasse – même si, à l’arrière-plan, les femmes interviennent partout : fenaisons, moissons, vendanges, laiterie, etc.

Reviennent en propre aux femmes des sociétés rurales, outre les tâches ménagères et le soin des enfants, la multitude de fonctions regardées comme secondaires, dont ni la tradition orale ni les textes n’affirmeront jamais ouvertement l’importance. Beaucoup de ces prérogatives obscures sont en rapport avec les plantes.

Piler l’ortie pour la volaille, ramasser l’herbe des lapins, les glands des porcs, échardonner le blé, conduire les chèvres, tamiser la cendre des lessives, rouler le tampon de prêle dont on frotte la poêle, contourner la disette avec l’aide des premières pousses du fossé, connaître et cueillir l’herbe qui calme la dysménorrhée, fait tomber la fièvre, arrête le sang, fleurir le pied des murs, demander aux feuilles et aux pétales le chemin du cœur : entre gestes et paroles, nécessités du corps et repères d’espérance, la culture féminine du végétal, ici à peine esquissée, est à elle seule une ethnobotanique globale.
 
L’expression « plantes des femmes » peut s’entendre de plusieurs façons. C’est d’abord, dans nos cultures, ce qui concerne le domaine gynécologique, ce que les femmes se transmettent d’une génération à l’autre et mettent en œuvre pour tout ce qui concerne leur corps dans ses fonctions et ses maux : cycle menstruel et problèmes associés, fécondité, grossesse, accouchement, post-partum, allaitement, troubles du « sang », etc.



En haute Provence, c’est dans cette acception qu’on disait « plantes des femmes » à la fin du siècle dernier. L’armoise en est la représentante majeure, la rue la part obscure. »


Les plantes des femmes

Actes du séminaire de Salagon 2006
Sous la direction de Pierre Lieutaghi et de Danielle Musset
Éditions C’est-à-dire

5 commentaires:

Jean Pierre J. a dit…

Coincidence : je lis dans le Monde ce soir le témoignage de Marie-Thérèse Lacombe, auteur de Pionnières ! Les femmes dans la modernisation des campagnes de l'Aveyron, de 1945 à nos jours (éditions du Rouergue, 2009) et veuve de Raymond Lacombe (ancien président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles).

" Heureusement, les choses changent. On le voit en période d'ensilage, comme en ce moment : avant, les femmes se devaient de préparer un grand repas pour leurs hommes et il fallait que ce soit comme il faut ; aujourd'hui, soit le repas est préparé la veille, soit il est fait de sandwiches, soit on va au restaurant !"

Quelle est alors la place des plantes des femmes dans cette agriculture "moderne" et mécanisée ?
Les plantes des femmes ne se sont elles pas réfugiées chez des personnes qui n'ont plus trop à voir avec la campagne ?

Silène a dit…

Vraiment intéressant: à explorer....

Elisabeth.b a dit…

Oui Silène, je partage votre curiosité. C'est un livre que je pense acquérir.
Jean-Pierre il me semble que ces plantes sont liées aux savoirs traditionnels. Ils ont été confisqués, le diplome d'herboriste supprimé. Est-ce nostalgie que ces rayonnages en pharmacie où gélules et huiles essentielles portent le nom de plantes ? Qu'en est-il dans les pays où les sociétés rurales sont encore largement présentes (pour si peu de temps ?), où tout le monde n'a pas accés à des soins sophistiqués ? Même en s'en tenant à a seule Europe. Je ne suis pas certaine que les plantes aient déserté le quotidien de tous.

Elisabeth.b a dit…

L'article dont parle Jean-Pierre J. est toujours accessible sur le site du Monde : Crise de l'agriculture : paroles de paysannes.

Merula a dit…

Très bel article en hommage aux femmes et à leur travail.