jeudi, octobre 16, 2008

« Le renard se plaît dans la légèreté des ténèbres »

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Cette fois c'est une coïncidence ; j'ai découvert récemment ce très beau texte. Je vois qu'aujourd'hui la Bouriane Verte raconte aussi le renard.
J'ai si souvent, si longuement, écouté Claude Mettra qu'il m'arrive d'oublier qu'il n'est plus là. 'Les vivants et les dieux', 'Les chemins de la connaissance', des émissions qu'il animait au sens où on donne âme. Magie de ces rendez-vous sonores. Cet extrait est le début d'un texte que je vous invite à lire dans son intégralité. Précisions en bas de page.
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Claude Mettra

Extrait de Madeleine à la veilleuse

« Le renard se plaît dans la légèreté des ténèbres. Tant que la forêt est dans sa clarté solaire, il repose, paisible, au fond de son terrier. C’est seulement quand toutes les étoiles ont trouvé leur chemin dans le ciel (même si, obscurcies par la brume ou la pluie, ces étoiles n’ont point de regard pour nos espaces) qu’il entreprend ses pérégrinations hasardeuses, voyageur sans destination précise et sans autre guide qu’une imagination aidée ici ou là par les odeurs ou les rumeurs qui hantent la campagne déserte. Une seule exception à ce rituel de la nuit : dans le profond de l’hiver, quand le ciel est bleu et la terre blanche de givre, quand les arbres et les herbes se réjouissent du grand gel qui leur donne la sérénité du monde minéral, il s’aventure volontiers à l’orée des forêts pour célébrer, selon sa folie l’harmonie enneigée de la création : on le voit alors dans sa vêture rousse se livrer à une danse qui n’est pas sans faire songer à celle des vagues se caressant et se recouvrant l’une l’autre au long des sables de la mer. Et, en ce rare moment de l’année où il s’abandonne à la lumière du jour, il traduit en sa chair le mouvement provisoirement suspendu des êtres et des choses que le grand froid confine au grand repos.
Il suffit au renard de deux ou trois aurores cristallines dans le silence de l’hiver pour nourrir sa mémoire de la réalité du monde. Les images ainsi amassées, il les emporte dans son terrier. Elles l’aideront de temps à autre à marcher avec plus d’agilité dans l’épaisseur des nuits ; mais elles seront là surtout pour alimenter ses rêves dans la profondeur de son souterrain car il ne ressemble en rien aux caïmans ou aux marmottes dont aucun cauchemar ne vient jamais troubler le sommeil, pas plus qu’aux oiseaux d’ailleurs pour qui le sommeil n’est jamais qu’un semblant d’absence toujours brisé par le plus insignifiant des bruits.
Ainsi, de saison en saison, à travers une fragile existence de bête pourchassée, s’élabore une philosophie du terrier, proche à tant d’égards de ce théâtre du refuge où Gaston Bachelard est à la fois auteur, metteur en scène et acteur. Ce terrier, il est pour le renard le centre du monde ce qu’est la maison pour le petit enfant, ce qu’est la forêt pour le charbonnier ravivant le feu de sa meule, ce qu’est l’étable pour le bœuf laboureur. Centre, c’est-à-dire point immobile dans la roue qui obéit hâtivement au rythme de la vie. Mais que signifie cette immobilité ? Apparemment, que celui qui est au centre contemple, dans le détachement et la sécurité de celui qui possède un lieu, les déchirements et les contradictions des êtres et des choses soumises à la mouvance et à l’éternel retour. La réalité cependant est ailleurs : blotti dans la chaleur de son antre, le renard s’abandonne au regard de la terre. Il est une proie consentante au désir des éléments ; son rêve est abandon aux obsessions et aux rêveries de la matière. C’est à travers lui, c’est à travers sa mémoire et son trajet imaginaire que la matière invente son propre périple. »
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Madeleine à la veilleuse
: page 30 de l'Hommage à Claude Mettra publié par la revue
Verrières. Numéro 2 de la nouvelle série.

Les vivants et les dieux : pour connaître les dates de rediffusion, consulter les programmes de France-Culture.
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2 commentaires:

Jean Pierre J. a dit…

Merci pour ce très beau texte.J'ai fignolé la coincidence en ajoutant les liens nécessaires pour ajouter
un peu de cette dimension bachelardienne aux idées de Terrasson.
En son temps, nous avions aussi écouté Claude Mettra..
JPJ Bouriane verte

Anonyme a dit…

Magnifique...